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vendredi 15 juin 2012

Fascisme expérimental


Quand est-il de l'expérimentation du fascisme au cinéma? De la volonté des réalisateurs de nous faire passer de l'autre côté de la barrière trouble de nos possibilités humaines?

Deux films, deux réponses et deux méthodes.

'La Vague' (2008) de D. Gansel et 'Salo ou les 120 jours de Sodome' (1975) de Pier Paolo Pasolini sont tous les deux affublés du titre de films pédagogiques. De quoi redonner tout le sens au mot pédagogie que le TILF définit comme l'ensemble des méthodes dont l'objet est d'assurer l'adaptation réciproque d'un contenu de formation et des individus à former. Si le scénario de 'La Vague' est clairement orienté pour parvenir à des fins pédagogiques (adaptation contenu-spectateur) en proposant une grille de lecture au sein du film, comme un sas de protection, une superposition de couche de signification quelque part, pour comprendre, analyser et interpréter les évolutions du mouvement 'La Vague'. Le film de Pasolini désarme, anéantit tout espoir de réversibilité du cours de choses. Rien ne protège le spectateur devant cette procession macabre, sodomite, scatophile, scabreuse et tout ce que vous voulez, parce qu'il y a à peu près tout dans ce film... Un film brut qui use, qui s'imprègne et ne peut vous laisser indifférent. Le spectateur devient séquence après séquence alternativement bourreau et victime.


Si nous savons d'emblée que le fascisme expérimental est encadré dans La Vague, le huis clos de Salo permet une angoisse permanente, le sentiment de persécution chez le spectateur. Ultra-référencé et métaphorique, le film de Pasolini permet toutefois de suivre la gradation des atrocités commises et de l'ordre spontané qui se met en place conforme au traité reliant les 4 fondateurs aux plein-pouvoirs: Le Duc, le Président, Son Excellence et L’Évêque. La Vaccari profère une propagande digne de Goebbels, un crime partisan-raciste (intelligent d'avoir rapproché les deux), la sélection des individus, et j'en occulte beaucoup.

Bien évidemment le ressenti n'est pas le même. Dans 'La Vague', On regarde presque amusé les lycéens se prendre au jeu du fascisme par le professeur d'Histoire, puis vient la morale, la prise de conscience, qui est permanente pour le spectateur assistant à un engrenage bien huilé et attendu. Pour Salo, pas de contrôle de l'évolution de la procession, bien au contraire, c'est ce qui fait l'intensité du film, cette lente danse scabreuse vers les passions, la merde, la mort et le rien.

L'acmé se situe lors de cette scène finale, qui à mon sens fait tout le film, où la procession devient d'un esthétisme troublant. Cette vue par les jumelles en contre-plongée nous offre une place quasi-mystique comme si on se dégageait du film petit à petit, par dépit, rejet et dégoût d'une société qui se délite.  Pasolini nous offre cette place de démiurge pour partager ses convictions politiques et son désabusement concernant la nature humaine.

Il est intéressant de relier ces deux films car ils permettent de discerner où se trouve la pédagogie. Toute la question est: le contenu est il adapté? En se référant à la définition sur le TILF, adapter quelque chose à quelqu'un est 'mettre en accord, approprier à quelqu'un d'autre, considéré comme prépondérant ou du moins comme incontestablement réel, de manière à obtenir un ensemble cohérent ou harmonieux'. Le contenu est l'Homme et le destinataire est le spectateur en tant qu’Homme. Il n'est donc plus question d'adaptation (interconnexion naturelle entre contenu-destinataire) et donc de pédagogie dans ce film. Pasolini nous donne le fil d'une introspection salvatrice en tant qu'Homme.

C'est pour cela que Salo est considéré comme le film du XXème siècle pour bon nombre de réalisateurs.


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